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Piloter la performance durable par la valeur

  • Photo du rédacteur: David Lambert
    David Lambert
  • 29 mai
  • 13 min de lecture

Dernière mise à jour : 10 sept.

Résumé : Face à des injonctions de transformation rapide et à la pression des coûts, l’analyse de la valeur offre une alternative stratégique fondée sur l’utilité réelle, la sobriété et l’intelligence collective. Cette méthode permet de simplifier sans appauvrir, d’aligner les décisions sur les besoins essentiels, et de bâtir une performance durable. En plaçant la finalité au cœur des choix, elle constitue une boussole pour les organisations en quête de sens et de résilience.


Introduction


Face aux injonctions croissantes à transformer vite, à innover sans relâche et à rationaliser les dépenses, les organisations peinent à trouver un cap stable. Elles investissent dans des outils, restructurent des processus, s’engagent dans des démarches de transformation digitale… mais sans toujours interroger la finalité réelle de leurs actions. Derrière la quête légitime d'efficacité, une autre question s’impose : pourquoi faire ? Et surtout, à quelle condition faire mieux sans faire plus ?


C’est ici que l’analyse de la valeur revient sur le devant de la scène. Issue du monde industriel des années 1940, cette méthode repose sur une idée simple mais exigeante : la valeur ne se mesure ni au coût, ni à la vitesse d’exécution, mais à la capacité d’une fonction à répondre à un besoin réel, pour un effort maîtrisé. Autrement dit : faire mieux avec justesse, pas juste faire vite ou moins cher.


Dans un contexte où les ressources sont comptées, où la pression environnementale s’accentue et où les attentes sociétales évoluent, l’analyse de la valeur offre un cadre puissant pour réconcilier performance et durabilité. Elle oblige à hiérarchiser, à supprimer l’inutile, à redonner du sens à l’action collective. Mais cette méthode reste trop souvent cantonnée à quelques cercles techniques ou budgétaires, alors qu’elle pourrait structurer une véritable stratégie organisationnelle.


Cet article propose d’explorer en profondeur ce que signifie piloter par la valeur : en quoi cette démarche peut renforcer l’efficience sans sacrifier l’essentiel, pourquoi elle constitue une réponse aux dérives court-termistes, et comment elle peut s’installer durablement dans les pratiques managériales.


Pourquoi repenser la performance aujourd'hui : la promesse oubliée de la valeur


Longtemps associée à la vitesse, à la réduction des coûts et à l’atteinte d’objectifs chiffrés, la notion de performance s’est figée dans une vision instrumentale. Mais les crises contemporaines — sanitaire, écologique, sociale — ont révélé les limites de cette approche. Derrière des résultats parfois flatteurs se cachent des organisations fragilisées, des collaborateurs désengagés et des décisions déconnectées du réel. Repenser la performance, c’est redécouvrir une promesse oubliée : celle de créer de la valeur utile, durable, partagée.


Le piège de la performance court-termiste


Pendant plusieurs décennies, la performance organisationnelle a été réduite à des indicateurs financiers immédiats. On mesurait le succès à la capacité de livrer plus vite, à moindre coût. Cette conception industrielle, héritée du fordisme et du taylorisme, a façonné des systèmes entiers fondés sur la réduction des coûts unitaires, la standardisation, l’externalisation et l’optimisation par segment. Dans les années 1990 et 2000, la vague de réingénierie des processus (BPR) et la généralisation des ERP ont poursuivi cette logique : rendre les chaînes plus fluides, les flux plus visibles, les collaborateurs plus “productifs”.


La performance sans durabilité est une impasse

Éloi Laurent (2016)


Mais à trop vouloir maximiser la productivité apparente, les organisations ont souvent négligé la qualité d’exécution, le sens du travail, et la pertinence des fonctions elles-mêmes. La multiplication des indicateurs de performance (KPI), l’intensification du reporting et les restructurations à répétition ont fini par créer un climat d’usure. Comme le souligne Éloi Laurent, économiste et spécialiste des indicateurs alternatifs, « la performance sans durabilité est une impasse ». Cette impasse, de nombreuses entreprises et administrations y sont confrontées : perte d’engagement, complexité croissante, fatigue numérique, difficultés de pilotage.


Or, les crises récentes – sanitaire, énergétique, écologique – ont agi comme des révélateurs. Elles ont montré que l’efficacité immédiate, si elle n’est pas pensée dans la durée, fragilise les organisations plutôt qu’elle ne les renforce. Il ne suffit plus de “faire plus avec moins” : il faut désormais faire mieux, avec discernement.


Les signaux faibles d’un changement de paradigme


Dans ce contexte de saturation et de tension, une inflexion se dessine. Lentement, mais sûrement, le champ de la performance s’élargit. L’idée qu’une organisation est performante non seulement parce qu’elle est rentable, mais parce qu’elle est utile, pérenne, et responsable, s’impose dans le débat stratégique.


Cette redéfinition de la performance s’accompagne de l’émergence de nouveaux indicateurs : taux d’impact environnemental, empreinte carbone, qualité de vie au travail, indicateurs d’inclusion, retour d’usage réel. Des entreprises comme Danone ou MAIF se sont dotées de missions explicites, mesurables, au-delà de leurs résultats financiers, en se transformant en sociétés à mission. La loi PACTE de 2019, en France, a acté cette possibilité juridique, traduisant une tendance de fond : donner un cap de long terme à l’action économique.


La durabilité doit être au cœur de votre stratégie à long terme

Larry Fink (2020)


Sur le plan international, cette évolution est également portée par les marchés. Les plus grands gestionnaires d’actifs comme BlackRock, Vanguard ou Amundi conditionnent désormais leurs investissements à des engagements concrets sur les critères ESG (environnement, social, gouvernance). Dans une lettre adressée aux dirigeants d’entreprise, Larry Fink (PDG de BlackRock) écrivait en 2020 : « La durabilité doit être au cœur de votre stratégie à long terme ».


Ainsi, la performance durable n’est plus une option idéologique. Elle devient un standard, un facteur d’attractivité, un levier de financement. Mais elle reste difficile à piloter avec les outils classiques de contrôle budgétaire. C’est là que l’analyse de la valeur entre en jeu.


L’analyse de la valeur : une réponse méthodologique à ce besoin de durabilité utile


Inventée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par Larry Miles chez General Electric, l’analyse de la valeur n’est pas une méthode de réduction des coûts. Elle est, fondamentalement, une méthode de recherche de la pertinence. Son principe : ce qui fait la valeur d’un produit, d’un service, d’un processus, ce n’est pas son prix de revient, mais sa capacité à répondre à une fonction utile. Cette notion de “fonction utile” est à la fois opérationnelle et stratégique : elle permet de dépasser la logique des moyens pour recentrer sur la finalité.


Appliquée à des projets industriels, des services publics, des démarches numériques ou des organisations entières, l’analyse de la valeur offre un cadre structurant : poser les bonnes questions (pourquoi fait-on cela ? pour qui ? à quel coût ?), analyser les processus non pas selon leur historique, mais selon leur apport réel, et faire émerger des alternatives plus sobres, plus simples, plus ajustées.


Cette méthode a déjà fait ses preuves dans des domaines aussi variés que la conception d’infrastructures, la santé, l’administration ou le design de service. Sa force ? Elle croise l’approche fonctionnelle, l’intelligence collective et l’évaluation des coûts réels (pas seulement financiers, mais aussi humains, temporels ou environnementaux). Elle permet de dire non à l’accessoire, oui à l’essentiel – ce qui constitue, dans le contexte actuel, une ressource stratégique rare.


Alors que les organisations cherchent à concilier performance et soutenabilité, l’analyse de la valeur propose plus qu’un outil : une posture, un cadre de réflexion, une culture de l’alignement. Mais encore faut-il comprendre comment cette méthode se distingue des approches classiques d’optimisation. Car trop souvent, l’efficience est confondue avec la réduction brute. Dans la suite de cet article, nous verrons comment l’analyse de la valeur permet de faire mieux sans abîmer, en réconciliant simplification, engagement des équipes, et impact utile.


Une méthode pour conjuguer efficience, simplification et engagement


Dans un contexte où les organisations sont sommées de faire plus avec moins, la tentation est forte de réduire les coûts sans remettre en cause les pratiques. Pourtant, l’efficience véritable ne réside pas dans la contraction budgétaire, mais dans la capacité à simplifier avec discernement. C’est précisément ce que propose l’analyse de la valeur : une méthode rigoureuse pour interroger l’utilité réelle de chaque action, engager les équipes dans un processus de transformation maîtrisé, et redonner du sens à l’effort collectif.


Repartir du besoin, pas des moyens


À rebours des logiques classiques d’optimisation où la solution précède souvent la question, l’analyse de la valeur propose un principe fondamental : ne rien concevoir tant que le besoin n’a pas été clairement défini. C’est une discipline du discernement. Plutôt que de s’en remettre à la solution la plus visible ou à la technologie la plus avancée, la méthode impose de répondre d’abord à une série d’interrogations simples mais structurantes : Quelle est la fonction que nous cherchons à remplir ? Est-elle encore pertinente ? Pour qui ? À quel coût ?


Il n’y a rien de plus inutile que de faire avec efficacité quelque chose qui ne devait pas être fait du tout

Peter Drucker (1973)


Ce renversement méthodologique est souvent salutaire. Il permet, par exemple, d’éviter de digitaliser à marche forcée un processus administratif obsolète ou de multiplier les interfaces inutiles dans un parcours client. Dans de nombreux projets de refonte numérique, des équipes découvrent qu’un écran, une étape, une règle ou un contrôle jugés “essentiels” ne rendent en réalité aucun service. C’est ainsi qu’une collectivité locale ayant engagé un chantier de simplification de ses démarches en ligne a pu réduire de moitié le nombre de pièces justificatives exigées des usagers, sans impact juridique, mais avec un gain considérable de fluidité.


Comme le disait Peter Drucker, père du management moderne : « Il n’y a rien de plus inutile que de faire avec efficacité quelque chose qui ne devait pas être fait du tout ». L’analyse de la valeur est une méthode qui empêche précisément cette dérive : celle de l’optimisation de l’inutile.


Une démarche collective et transversale


Mais ce retour au besoin ne peut être décrété du haut d’un organigramme. Il suppose une mise en débat des usages, une confrontation des points de vue, une remontée des expériences de terrain. C’est pourquoi l’analyse de la valeur est indissociable d’une logique participative. Elle réunit, dans un même espace d’analyse, les métiers, les techniciens, les utilisateurs finaux, les gestionnaires, parfois même les usagers. Ce croisement des regards permet d’exposer ce que les modèles organisationnels cloisonnés tendent à cacher : les dysfonctionnements ordinaires, les redondances cachées, les points de friction acceptés par habitude.


Ce dialogue interdisciplinaire a aussi une vertu managériale : il redonne du pouvoir d’agir aux équipes. Dans une grande mutuelle française, un atelier d’analyse de la valeur mené sur le parcours d’indemnisation a permis de supprimer plusieurs étapes de validation redondantes, tout en maintenant la conformité réglementaire. Les agents en charge de la gestion des dossiers ont été impliqués dès la phase de cartographie des fonctions et ont pu proposer eux-mêmes des pistes de simplification. Résultat : un gain de temps de 30 %, une baisse des erreurs de ressaisie et une amélioration nette du ressenti client.


Dans une organisation moderne, l’efficacité n’est plus verticale. Elle est systémique et collaborative. En ce sens, l’analyse de la valeur dépasse le cadre technique pour devenir un acte de gouvernance partagée.


Simplifier sans appauvrir


Ce qui distingue fondamentalement l’analyse de la valeur d’un simple exercice de réduction budgétaire, c’est sa capacité à simplifier sans dégrader. La suppression, dans cette méthode, n’est jamais une fin en soi. Elle est la conséquence d’un raisonnement fonctionnel : si une tâche, une étape, un outil ne rend pas de service identifié, alors il peut être supprimé ou transformé. Mais dès lors qu’une fonction est jugée utile – même si elle est coûteuse ou complexe – elle doit être conservée, voire renforcée.


Cette rigueur méthodologique protège contre une tentation répandue dans les périodes de tension budgétaire : le cost-cutting aveugle. L’histoire récente regorge de décisions hâtives prises au nom de l’économie immédiate et qui se sont révélées catastrophiques à moyen terme. La fermeture de services publics de proximité, par exemple, a parfois entraîné une dégradation massive de la qualité de service et un éloignement des publics vulnérables. À l’inverse, plusieurs collectivités ayant appliqué une démarche d’analyse de la valeur ont pu mutualiser certains guichets tout en maintenant l’accessibilité physique des services essentiels.

L’analyse de la valeur invite donc à sortir de la logique binaire “coût ou service” pour entrer dans une logique d’ajustement intelligent : faire porter l’effort là où il est réellement utile, sans sacrifier la qualité, ni l’équité, ni la compréhension des usagers.


À la croisée de l’ingénierie, du design de service et du management participatif, l’analyse de la valeur ne se contente pas d’optimiser. Elle réoriente les choix vers ce qui compte vraiment, en croisant exigence de clarté, intelligence collective et pilotage stratégique. Elle ouvre ainsi la voie à une performance plus sobre, mais aussi plus juste, car alignée sur les attentes réelles des parties prenantes – internes comme externes.


En articulant exigence de rationalité et prise en compte des besoins réels, l’analyse de la valeur s’impose comme un outil de décision stratégique. Mais pour qu’elle produise des effets durables, elle ne peut rester un simple outil d’étude ponctuel. Il faut qu’elle s’enracine dans une culture, qu’elle alimente les arbitrages, qu’elle structure les méthodes de travail. C’est tout l’enjeu de la partie suivante : comment faire de l’analyse de la valeur un levier permanent de pilotage, au service d’une performance durable ?


Vers une culture du pilotage fondée sur la valeur : conditions de durabilité


Si l’analyse de la valeur permet de mieux concevoir, mieux arbitrer et mieux simplifier, son plein potentiel ne se déploie que lorsqu’elle devient une culture partagée de décision. Loin d’être un outil ponctuel ou un simple levier d’optimisation, elle peut structurer une nouvelle manière de piloter : plus exigeante, plus collective et surtout, durable dans ses effets.


Transformer la posture managériale : de l’ordre à l’intention


Dans les organisations traditionnelles, les décisions sont souvent formulées en termes d’objectifs budgétaires ou de livrables techniques. Cette approche, hérité d’un management vertical fondé sur la prévisibilité, tend à invisibiliser la question du sens : pourquoi faisons-nous cela ? Pour qui ? À quel effet ? Or, dans un monde incertain, rapide et complexe, les réponses toutes faites ne suffisent plus. Ce sont les questions bien posées qui deviennent stratégiques.


L’analyse de la valeur introduit ici un changement de posture profond. Elle ne demande pas seulement ce qu’on peut faire, mais d’abord ce qui mérite d’être fait. Cela suppose, de la part des dirigeants comme des cadres intermédiaires, un passage d’une culture de la prescription à une culture de l’arbitrage raisonné. Autrement dit : ne pas se contenter de réduire les budgets ou d’imposer des solutions standards, mais explorer les fonctions utiles, hiérarchiser les priorités, arbitrer à partir de la valeur ajoutée.


L'efficacité sans question du sens finit toujours par produire l'inverse de ce qu'elle promet

Ivan Illich (1973)


Cette approche rappelle les propos du philosophe Ivan Illich qui, dès les années 1970, alertait contre les “outils sans finalité” : « L'efficacité sans question du sens finit toujours par produire l'inverse de ce qu'elle promet. » Dans un environnement où la pression à l’action est permanente, créer des espaces pour questionner la valeur devient un acte managérial en soi.


Outiller la décision : du coût brut à la valeur fonctionnelle


Encore faut-il que cette posture soit appuyée par des outils adaptés. Car si l’analyse de la valeur est exigeante intellectuellement, elle l’est aussi méthodologiquement. Elle repose sur une capacité à modéliser les fonctions, à les relier à des données tangibles, à en estimer les coûts et les effets. Cela implique de dépasser les tableaux de bord classiques, souvent centrés sur des indicateurs de production, pour intégrer des métriques fonctionnelles : fréquence d’usage, satisfaction usager, taux de friction, utilité perçue, coûts de non-qualité.


Certaines organisations pionnières ont déjà amorcé ce virage. La ville de Montréal, par exemple, a intégré dans sa politique de transformation numérique un outil de cartographie des irritants, basé sur le ressenti des usagers et des agents. À partir de cette base, les arbitrages techniques sont guidés non par la complexité des solutions, mais par la clarté des bénéfices attendus. Ce type d’outillage, s’il reste encore marginal, préfigure une autre manière de décider : non plus sur la base de l’urgence, mais sur la base de la valeur réelle produite.


De même, la fonction de value manager, émergente dans certains grands groupes, vise à institutionnaliser cette approche. En croisant expertises métiers, pilotage budgétaire et retour d’expérience, ces profils incarnent une gouvernance par la valeur – à la fois rigoureuse et stratégique.


Faire de l’analyse de la valeur un réflexe d’organisation


Mais pour que cette méthode dépasse le stade du projet pilote, il faut qu’elle s’inscrive dans une culture continue. L’analyse de la valeur ne doit pas être réservée aux grands chantiers ou aux audits de crise : elle gagne à devenir un réflexe régulier de questionnement et d’amélioration. Cela suppose trois évolutions complémentaires.


  • La première est pédagogique. Trop souvent, les équipes perçoivent la recherche de simplification comme une menace. En formant à la méthode, en expliquant sa logique et ses bénéfices, on en fait un levier d’engagement plutôt qu’un outil d’évaluation descendante.


  • La deuxième est structurelle. Il faut prévoir dans les processus internes des temps d’arrêt, de respiration, où la question de la valeur est posée explicitement : est-ce toujours utile ? Est-ce bien compris ? Peut-on faire autrement ?


  • La troisième est politique. L’analyse de la valeur est un acte d’allocation collective, qui appelle à des décisions transparentes, discutées, partagées. Elle s’inscrit dans une logique d’organisation plus démocratique, où la qualité de la contribution compte autant que le résultat produit.


Dans ce sens, certaines entreprises comme Decathlon, MAIF ou SNCF ont commencé à intégrer des “revues de valeur” dans leurs cycles projets, à la croisée de la conception, de l’usage et de la stratégie. Ces formats courts, structurés autour de grilles simples (besoin – fonction – coût – impact), permettent d’ancrer la méthode dans les pratiques, sans alourdir le pilotage.


Faire de l’analyse de la valeur un réflexe organisationnel, c’est ancrer la performance dans le discernement, pas dans l’urgence. C’est choisir d’agir là où cela compte vraiment, avec des moyens ajustés, des équipes impliquées et une finalité claire. Dans un monde de contraintes croissantes, cette culture du pilotage par la valeur apparaît moins comme un luxe méthodologique que comme une condition de résilience stratégique.


Ainsi, loin d’être une technicité réservée aux ingénieurs, l’analyse de la valeur apparaît comme une méthode transversale, politique et durable. Elle permet d’aligner les décisions sur les besoins, d’engager les équipes dans des choix éclairés, et de construire une performance fondée non sur l’intensité, mais sur la justesse. Ce n’est pas une méthode miracle, mais une boussole stratégique pour faire mieux, avec plus de sens et moins de dispersion.


La valeur, nouvelle boussole stratégique


La quête de performance a longtemps été dominée par des logiques quantitatives : produire plus, livrer plus vite, réduire les coûts. Cette vision, héritée de l’ère industrielle et du management par objectifs, a permis d’importants gains de productivité — mais au prix, souvent, d’une complexification croissante, d’une déconnexion du terrain et d’une perte de sens. Dans un monde confronté à des défis systémiques — raréfaction des ressources, exigences de sobriété, transformations du travail — la performance ne peut plus se penser sans durabilité. Elle doit être utile, soutenable, alignée.


C’est dans ce contexte que l’analyse de la valeur prend tout son relief. Méconnue du grand public mais solidement ancrée dans certaines cultures professionnelles, cette méthode offre une grille de lecture exigeante : interroger les fonctions, identifier les besoins réels, arbitrer à partir de la finalité, et non du coût brut. Elle ne cherche pas à faire plus avec moins, mais à faire mieux avec sens. Elle refuse la logique simpliste du « toujours plus » ou du « toujours moins » pour lui préférer celle du juste nécessaire, justement conçu.


Mais son apport dépasse la seule efficacité opérationnelle. En impliquant les parties prenantes, en structurant les débats autour des usages, en refusant l’automatisation de l’inutile, l’analyse de la valeur contribue à restaurer une capacité collective à décider. Elle réhabilite le rôle de l’intelligence partagée, de l’écoute, du discernement. Dans une époque marquée par la complexité et l’incertitude, cette capacité devient un atout stratégique. Car les organisations qui sauront questionner régulièrement ce qu’elles font, pourquoi elles le font, et pour qui, seront les mieux armées pour évoluer sans s’épuiser.


La transformation n’a pas besoin d’être brutale pour être efficace. Elle peut être continue, ancrée, alignée. À condition d’être guidée. Et la valeur, dans ce paysage incertain, s’impose comme la meilleure des boussoles. Elle ne fait pas de bruit, mais elle éclaire loin.



Bibliographie
  1. Éloi Laurent (2016), "Nos mythologies économiques", Les Liens qui Libèrent.

  2. Larry Fink (2020), "Letter to CEOs", BlackRock.

  3. Peter Drucker (1973), "Management: Tasks, Responsibilities, Practices", Harper & Row

  4. Ivan Illich (1973), "La convivialité", Éditions du Seuil, coll. Points Essais


 
 
 

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